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Article-1 : Blogs, Octavio Paz et choc des cultures
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Blogs, Octavio Paz et choc des cultures

Un blog traitant des rapports qu'entretient le public avec la lecture, l'accès au savoir et à l'information contient dans sa page d’accueil les deux citations suivantes :

  • « Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. A l'inverse, c'est de l'isolement que meurent les civilisations. »

Octavio Paz Ecrivain mexicain (1914-1998)

  • "La "culture" n'existe pas hors des contextes sociaux, économiques, idéologiques, et territoriaux qui la fondent et la nourrissent. La culture "en train de se faire" est pour l'individu, totalement quotidienne."

Le métier de bibliothécaire aux éditions Electre-Le Cercle De La Librairie

Outre le fait qu’à une première lecture ces deux citations paraissent se contredire, celle d’Octavio Paz semble faire partie de ce que l’on appelle des idées reçues, celles formulées comme les slogans que se jettent à la figure les intellectuels de la pensée unique, celles que l’on prend pour évidentes, ce caractère d’évidence leur étant conféré par la notoriété de celui qui les signe. Et pourquoi donc le poète ferait-il autorité dans un domaine si écarté du sien ?

Il est vrai que la citation ayant Octavio Paz pour auteur a quelque chose d’intellectuellement séduisant. Et de politiquement correct car elle invite à la rencontre des hétérogènes, au mélange, à la proximité, sinon à la promiscuité culturelle. Ces termes figurent aux programmes de nombre d’hommes politiques de gauche comme de droite. Ces termes désignent des valeurs qu’ils veulent prescrire aux citoyens mais qu’ils se gardent bien de mettre en application eux-mêmes. Or il n’y a rien de moins prescriptible qu’une valeur. On ne décrète pas, fut-ce le politique qui s’y essaye, que les gens doivent être solidaires, ou aimer la différence (ni la ressemblance d’ailleurs), ou avoir comme idéal de rencontrer les autres, de se mélanger à eux ou de se confondre avec eux ou encore ce qu’ils doivent penser pour être dans la norme édictée ou ce qu’ils peuvent et ce qui leur est interdit d’exprimer dans une société donnée. Le politiquement correct n’a rien de « démocratique », il n’a jamais servi que le politique, la pensée dite unique, le laxisme et l’intrus qui en tire profit pour faire passer, sans grand déguisement, l’idéologie opposée à celle que le politiquement correct dénonce. Les valeurs sont les fondations de la culture et aucun pouvoir ou contre-pouvoir politique n’a légitimité pour les imposer. Ces valeurs sont secrétées par un travail psychique lent individuel et d’échanges nécessitant le temps, comme le bon vin pour mûrir et le béton pour sécher et ne point se fissurer, un travail impliquant des générations et intégrant relations aux autres, relation à soi et relation à la réalité extérieure dans un espace donné.

Donc il est juste de passer la citation d’Octavio Paz au filtre de la critique pour éviter que l’illusion qu’elle véhicule n’agisse comme un virus de la pensée.

Les cultures ne naissent pas nécessairement ni ne s’enrichissent du mélange, de la rencontre ou des chocs.

Car les fondamentaux d’une « culture riche » tendent à se dissoudre dans le choc avec une «culture pauvre » ou très éloignée d’elle, si cette culture riche et les individus qui la partagent ne sont pas ancrés dans des valeurs fortes qu’ils savent promouvoir et si ses mythes fondateurs se sont dissous dans l’oubli. Sinon dans le rejet et la trahison des fondations posées par les générations précédentes. La « culture pauvre », dans le choc avec la culture riche, écume chez cette dernière les éléments les plus contestables, les plus superficiels car les plus assimilables par elle à court terme, les amplifie et les reprojette sur la « culture riche ». Ce mouvement se fait également dans le sens « culture pauvre » vers « culture riche ». Ce sont les individus qui se trouvent à l’intersection des zones de choc qui deviennent les vecteurs de l’appauvrissement et de la perversion de la « culture résultante ». Dans ce commentaire nous désignons par « cultures riches » celles dont les productions éthiques et esthétiques, nombreuses et variées, celles dont les systèmes sociaux économiques, éprouvés et affinés par des générations ont traversé les siècles, ont rayonné mondialement ou au-delà des territoires où elles sont apparues, celles dont les valeurs fondamentales individuelles ou collectives sont universelles. Ainsi donc le mélange et les chocs dont parle le poète se font au détriment de la « culture riche » qui voit ses productions s’affaiblir en variété, en qualité et en quantité, ses valeurs s’estomper et perdre leurs ancrages, son histoire se concentrer dans un présent de plus en plus étroit, sa langue, dans un glissement dramatique, se polluer, se dégrader, se pervertir, puis se corrompre et enfin dégénérer. Par ailleurs le monde post-moderne occidental, asservi aux dieux tyrans que sont l’économie délirante, la technologie aveugle, la démographie incontrôlée des pays sous-développés et celle anémique des pays développés porte lui-même les facteurs réducteurs des productions culturelles des générations passées et favorise leurs dissolutions sous l’effet du technique, de l’ethnique et de la pacotille. On peut se demander sur quels axes majeurs se fait aujourd’hui le développement de ces pays dits développés si l’on excepte celui des valeurs économiques et de celles attribuées à une technologie du mécanique, du virtuel ou du bio-robotique, valeurs porteuses pour leurs promoteurs (ils sont hélas nombreux) de l’illusion stupide de leur toute puissance.

Il risque d’en être pour les cultures comme pour les langues. Il disparaît chaque année des dizaines de langues. A ce rythme seules trois ou quatre langues dominantes, les plus représentatives de l’univers de l’économie règneront sur la surface du globe dans quelques décennies. Et elles mêmes, déchirées de leur support historique et de leurs valeurs d’origine, se réduiront à un vocabulaire exsangue qui ne servira plus qu’à désigner des objets des univers technologiques et économiques. Le « globish » anglais baragouiné dans les entreprises en est l’un des prototypes.

Ainsi disparaîtront ces cultures qui à la fois nous enracinent à un long passé et en sont le résultat. Car peut-on appeler culture, malgré ce qu’en disent les esprits forts ( ?), autre chose que le résultat de ce qui a macéré, s’est transformé, s’est stabilisé dans son fond tout en évoluant dans sa forme pendant des siècles, ce qui s’est inscrit dans un inconscient collectif phylogénétiquement transmis de générations en générations ?

Le temps est en effet un facteur corrélatif de la notion de culture, si dans ce temps, et dans l’espace géographique dans lequel il s’écoule, se développe une vie maintenue et se perpétuant à travers des valeurs éthiques, esthétiques, morales et humaines suffisamment partagées par les gens qui occupent cet espace culturel.

Ne demeureront alors que des cultures marquées par le binaire qui régit le monde actuel et celui de l’Internet : celles du visage aveugle du pouvoir du chiffre, du code et du virtuel, et celles du contre pouvoir de la violence. Celles du « un » d’une vie stéréotypée et virtuelle et celles du « zéro » de la pulsion de mort, celles des seules valeurs techno-économiques impérialistes et celles des extrémismes destructeurs et nihilistes. Les blocs Est-Ouest de la fin du vingtième siècle sont d’ores et déjà remplacés par la partition Nord-Sud. Par le mondialisme économique, monolinguistique et l’émergence des extrémismes terroristes ou d’Etat. De quoi, sur ce plan le vingt deuxième siècle, sera-t-il fait, et bien avant lui de quoi sera faite la deuxième moitié du vingt et unième siècle.

Le choc donc, avec une culture autre, surtout si cette autre culture est pauvre dans sa variété de productions, déconnectée de son espace d’origine et des composantes de cette espace qui lui ont permis de se nourrir, de prendre racine se fait au détriment de la culture riche, qui de culture dominante devient culture en dissolution. La culture pauvre, confrontée au décalage entre les valeurs qu’elle véhicule, religieuses, sociales, familiales, esthétiques, … et les caractéristiques artificielles (et souvent superficielles) de la modernité secrétées par la culture dite riche, absorbera préférentiellement ces dernières, valorisées par elle comme marques de son progrès. Le contact Chine – Occident sera instructif à ce sujet. Mais « absorber » se trouve, ici, plus près de « plaquer sur » que « d’intégrer » ou mieux de « métaboliser » d’une manière créatrice les éléments positifs de la culture riche au contact de laquelle vient la culture pauvre. Et par contrecoup la culture riche verra s’éroder un peu plus ses propres piliers, elle-même pensant trouver dans un « ethnique » déjà corrompu, ce que ses valeurs techno-économiques ne lui offre pas. Ce processus prend naissance chaque fois que la culture dominante, supposée riche, entre dans le temps de l’usure de ses valeurs fondamentales, historiques, et que la culture intrusive, pauvre par comparaison, perdant son espace d’origine essaye de se maintenir à travers l’affirmation forcenée d’une identité se fondant sur des valeurs et des équivalents comportementaux généralement en opposition avec ceux de la culture dominante.

A lire pour approfondir une réflexion sur ce thème :

  • Le singe grammairien - Octavio Paz
  • La dimension cachée – Edward T. Hall
  • La danse de la vie - Edward T. Hall
  • Au-delà de la culture - Edward T. Hall
  • Le Choc des civilisations - Samuel P. Huntington

Christian Damien Espinosa ///